En somme la beauté est partout. Ce n'est pas elle qui manque à nos yeux, ce sont nos yeux qui manquent à l'apercevoir.
Ma mère ne m'a jamais aimé, et je n'ai jamais approuvé son mode de vie. C'était une chasseuse aguerrie mais perverse et brutale. Vikyline, c'est ainsi qu'elle se nommait, avide de sang et de chasse. Sa proie favorite ? Les sorcières qu'elles soient blanches ou noires qu'importe, monstres elles étaient monstres elles resteraient. Je ne partageais pas ses idées, pour moi tout était équilibre, le bien, le mal, je ne rejetais pas leur existence, je n'en avais pas peur non plus et ça la grande Vikyline ne pouvait supporter une fille aussi naïve que moi, je ne voulais pas chasser, je ne voulais pas devenir un monstre comme elle, traquer jour et nuit.

Je me suis demandée bien des fois pourquoi mon père ne partageait pas notre vie, je recevais des lettres quand ma mère daignait me les donner, il connaissait mon existence et s'inquiétait de mon sort, mais aucune visite, aucun face à face, je me suis souvent dit que ça venait sans doute de moi ou alors qu'il avait une autre famille, des secrets ... Ma mère me disait souvent que cet homme fut sa première faiblesse et moi sa dernière, mais elle ne regrettait pas d'avoir pu découvrir la maternité, ce qui faisait d'elle une femme accomplie et forte, c'est ce qu'elle me répétait assez souvent. Mais il n'y avait pas assez d'amour pour former une parfaite petite famille, tous deux avaient des devoirs et des occupations dans leur village respectif, en soit je n'étais ni plus ni moins un accident de parcours. Une erreur, c'était un homme de passage ni plus ni moins ...

Il était venu le temps pour moi de rejoindre le clan des chasseurs mais j'étais obstinée et butée, la doyenne du village, Yseult m'avait pris sous son ail, la nature, les plantes, n'avaient aucun secret pour elle. Pour contrer les projets de ma mère, Yseult décida de m'enseigner son savoir. Au bout de quelques semaines, je pouvais préparer des crèmes, des solutions médicinales pour soulager divers maux. Ce monde me comblait …
Mais ma mère insista pour m'initier au combat, il fallait que je sache absolument me défendre, mais ce n'était pas des leçons ordinaires, je me faisais réellement battre jusqu'à en tomber par terre et ne plus pouvoir me relever. J'ai eu quelques côtes cassées, une clavicule déboîtée, des bleus, un visage souvent méconnaissable, Vikyline semblait jubiler de me voir ainsi, elle se défoulait sur moi !
Épuisée, à bout de force, je n'arrivais plus à me battre, à me défendre. Yseult, ma seule et unique amie, une seconde mère pour moi, me voyait dépérir et avait peur pour ma vie. J'ai souvent penser m'enfuir loin de ma mère, de ce village, mais je sais qu'elle m'aurait sans doute poursuivi rien que pour le plaisir de la chasse ... Ma mère était dérangée, obstinée, calculatrice, ingérable, et elle était chasseuse, elle me faisait peur !

Ce matin là, j'étais décidé à partir, mais sur le chemin, malheureusement je fis demi-tour, direction la maison, une fois arrivée, mon avenir allait prendre une toute autre direction. L'atmosphère était pesant, lourd, un homme se trouvait à l'entrée de notre grange comme s'il surveillait les alentours. Je me fis donc la plus discrète possible, j'allais rentrer quand soudain, un cris strident perça le calme plat de la nuit et me fit frissonner. Ce n'était pas normal ! J'avais un mauvais pressentiment. A l'arrière de notre grange, nous avons une petite ouverture, une fois à la porte, je pouvais distinguer quelques silhouettes, notamment celle de ma mère et une femme attachée à une chaise, couverte de sang … Vikyline lui hurlait dessus, elle menaçait sa famille, ses soeurs sorcières …
Mais cette femme n'avait rien de mauvais en elle. Non, je ne pouvais pas laisser une autre innocente mourir pour je ne sais quelle accusation. J'allais entrer quand le garde, qui surveillait il y a quelques secondes la première entrée, m'attrapa par le cou et me souleva de quelques centimètres, j'arrivais à peine à respirer et à me débattre, mes mains par inadvertance rencontrèrent son ceinturon sur lequel une dague s'y trouvait. Ni une ni deux, pour ma survie, la dague se planta dans son cou, figé, il lâcha prise, mon souffle était complètement coupé, j'ai mis plusieurs secondes avant de m'en remettre, des secondes bien trop longues !
Ma mère ouvrit la porte, le corps de son « collègue » gisait à mes pieds, mort, pleine de rage, elle attrapa mon pied et me traîna à l'intérieur de la grange ! Me rua de coups de pieds et m'attrapa les cheveux.

« C'est pour cette femme que tu as usé de ton arme, que tu as tué l'un des nôtres ... »

Sans doute le visage en sang, je n'arrivais pas à distinguer le visage de sa victime encore attachée sur le chaise. Ma mère allait en finir, elle allait me tuer, j'en étais sûre désormais, j'avais trahie sa confiance, ce en quoi elle se battait, elle pensait sans doute que je faisais parti d'un complot désormais. Elle me lâcha lourdement sur le sol et se dirigea vers la soit disant sorcière, elle détacha ses liens, elle ne bougeait pas, ne réagissait pas, elle ne se débattait pas, rongée par la peur … Ce n'était pas une sorcière !! Une simple humaine, mais aveuglée par sa haine, sa colère, sa vengeance, elle voyait le malin partout et en toute personne. Je cherchais cette satané dague qui m'avait libéré de mon premier agresseur, par chance je l'avais encore arrivée dans la grange. Une fois en main, mes forces devaient me revenir. La présumée victime comprit mon intention et se réveilla enfin de sa torpeur, elle se mit à hurler et sauta sur ma mère, mais elle ne faisait pas le poids. Un bruit sourd vint à mes oreilles, elle venait de lui tordre le cou. J'étais figée sur place, toujours la dague à la main mais Vikyline ne s'en était pas aperçue, elle se dirigea vers moi, un sourire aux lèvres et me prit dans ses bras, passant ses mains dans mes cheveux.

« Tu vois rien ne sert de fuir ou de se débattre, je gagne toujours, toujours ... »

Elle prit ma tête entre ses mains et plongea son regard froid dans le mien mais ses yeux se figèrent, c'est la toute première fois que la colère, la haine s'emparèrent de moi, mon monde venait de s'écrouler avec Vikyline qui en fit de même sur le sol, elle se vidait de son sang, Yseult m'avait également appris les points stratégiques à ne pas manquer pour tuer, histoire de se défendre rien qu'avec une misérable dague.

Il était temps pour moi de me faire violence, d’œuvrer pour ce qui me semblait juste et équitable, d'accepter le monde qui m'entoure. Yseult me conseilla vivement de quitter le village, qu'il ne fallait pas que je m'inquiète, rien n'allait être retenue à mon égard. Elle connaissait mon père et souhaitait que je le rejoigne.

Mais comment ?? Il ne m'a jamais vu, jamais rencontré, comment lui expliquer que j'avais assassiné ma propre mère ...
Puyfaux est ma seule destination possible, j'espère juste que mon père ne va pas me tourner le dos … M'accepter telle que je suis. J'espère oublier mon passé et me pardonner moi-même, cette nuit là, ma mère s'était emparée de moi et je ne veux pas que ce cauchemar se reproduise !