« Balian… »

A petit pas, Cassandre s’approcha prudemment de la paillasse sur laquelle dormait son ami. Un peu hésitante, elle tendit une main vers son épaule.

« Balian ! »

Chuchota-t-elle avec plus de force entre ses dents. Bon, sang ! Il allait se réveiller oui ou non ?! Elle ne pouvait pas crier comme elle le voulait, son père et sa sœur ne dormaient pas loin. Mais il avait le sommeil lourd, il l’avait toujours eut. Réprimant un juron, elle releva la jupe de sa chemise de nuit et grimpa sur le lit.

« Balian ! Réveilles toi s’il te plait! »

Alors on pourrait se demander ce que faisait la jeune femme dans la chambre de son meilleur ami au cœur de la nuit non ? Pour cela, il faudrait remontrer une semaine en arrière et le début de son enfer. Le point de départ ? Juste un défi. Juste un baiser. Juste un baiser qui la hantait sans relâche. Elle n’en pouvait plus, jusque dans ses rêves, les attisant. Elle se réveillait brulante, haletante, une faim intense pulsant entre ses cuisses. Il fallait que ça s’arrête. Elle ne le supportait plus. Elle avait mal. Venir le voir lui était sans doute une mauvaise idée, elle avait tendance à perdre pied face à lui, fiévreuse même. Mais…Il était sans doute le seul capable de comprendre ce qu’elle avait et comment y remédier non ?

C’était de sa faute après tout ! Elle avait même cru à un sort qu’on lui aurait jeté, avait même embrassé Enguerrand pour tenter de comprendre et...Elle avait eu l’impression d’embrasser un frère, agréable mais bien loin de l’avalanche de sensations qu’avait provoqué en elle les lèvres de Balian. Si elle avait pu envisager un seul instant d’oublier de se forcer à le voir comme un ami, elle aurait peut être compris que quelque chose avait changé, toute naïve soit elle. Mais quelque part, elle savait qu’elle ne devait pas le voir autrement. Parce que c’était comme ça. Ce qui serait intéressant, ce serait que son corps soit au courant. Elle se sentait rongée de l’intérieur, à la recherche d’un apaisement qu’elle ne trouvait pas, qu’elle ne savait pas trouver. Elle se sentait perdue, elle n’osait pas en parler à sa tante, encore moins à sa mère. Une certaine pudeur l’avait retenue tout dire a Enguerrand alors il ne lui restait que lui, par qui tout était arrivé.

Se mordant la lèvre, elle le secoua plus fortement, prenant garde à ne pas toucher sa peau alors qu’elle la trouvait si attirante…Elle était fatiguée par des nuits trop courtes, parsemées de caresses, de soupirs oniriques. Fatiguée de tenter de maîtriser ce qu’elle ne comprenait pas. Furieuse contre lui aussi d’une certaine façon….Alors elle avait pris sa décision, avait quitté la maison en catimini, suivit le chemin qu’ils connaissaient par cœur depuis l’enfance…Trouver l’échelle qui n’était là que pour elle et Enguerrand et avait pénétré la chambre par le volet qu’il ne fermait jamais totalement. Cela faisait des années qu’elle ne l’avait plus fait mais ses gestes lui étaient revenus si facilement. Comme avant…

Si seulement tout pouvait redevenir comme avant…

Balian fini par se réveiller, se redressant tel un ressort, la forçant a reculer légèrement sans pour autant descendre de ses genoux. Inconsciente qu’elle était de l’indécence de cette position, axée sur ses propres tourments au point d’en affronter la cause directe. Mais elle ne pouvait plus supporter cette tension qui semblait lentement la rogner de l’intérieur. Elle n’en comprenait pas le sens ni même le pourquoi. C’était idiot n’est-ce pas ? Mais le masque posé sur ses yeux est si épais que même dans ses rêves, il n’y a nul visage, nulle voix, peut-être parce qu’elle ne veut pas savoir…Pourtant quand le drap glissa, elle oublia un instant ce qu’elle était venue faire… Son esprit se vida littéralement au même rythme que ses yeux descendant le long du torse nu de Balian…C’était clairement une mauvaise idée mais il était trop tard pour reculer n’est-ce pas ?

Déglutissant avec une certaine difficulté vu l’état avancé de sécheresse de sa bouche, elle s’humecta rapidement les lèvres tandis qu’il l’apostrophait sur sa présence au beau milieu de la nuit. C’était quelque chose de courant lorsqu’ils étaient enfants, cela l’était beaucoup moins devenu adulte. Enguerrand lui avait fait comprendre, avec quelques difficultés, que c’était inconvenant. Cassandre ne voyait pas en quoi mais il avait insisté, elle avait cédé.

« Désolée de te réveiller, mais j’ai absolument besoin de te parler… »

Et maintenant, comment on aborde la chose ?...Se mordillant l’ongle du pouce, elle laissa planer le silence, mal à l’aise, encore embrumée, perdue…Finalement, elle posa ses deux mains sur ses genoux, résistant à l’envie irrépressible qui l’avait saisi de les poser sur la poitrine offerte a ses regards, inspira profondément et se lança :

« Je crois que je suis malade, j’ai un truc qui ne tourne pas rond là-dedans – son index vint tapoter sa tempe- et il n’y a qu’à toi qui peux comprendre. »

Et puis voilà, c’était de sa faute aussi ! Elle ne comprenait pas tout, juste que si elle n’avait pas relevé ce foutu défi, elle n’en serait pas là. Elle avait toujours eu une préférence marquée pour Balian, si elle devait comparer à Enguerrand, en étant plus claire, ce dernier avait toujours eu le rôle de grand frère. Sage, impétueux aussi, de bons conseils alors que Balian…Elle n’avait jamais réellement sut ce qu’il était pour elle. Maintenant encore moins qu’avant. Devant son air circonspect, elle enchaina :

« Non parce que tu comprends, ce n’est pas la première fois hein, mais au pire c’était brutal et imposé et au mieux, humide et passablement agréable…Alors pourquoi cette fois ci serait différente ?! J’y pense tout le temps, ça m’obsède, ça me hante. Chaque minute, chaque instant…Et la nuit…La nuit, je n’arrive pas à dormir et quand, par miracle, cela arrive…Je me réveille sans cesse. Fébrile, tremblante…Je brule tellement à l’intérieur que j’en ai mal. Je suis fatiguée, je n’arrive pas à penser à autre chose…Je veux que ça s’arrête, je ne peux plus le supporter…Dis-moi ce que tu ferais. »

Durant son discours, son regard s’était mis a luire, révélant un peu de cette fièvre qui la prenait chaque nuit. Cette même fièvre qui l’empêchait parfois de le regarder dans les yeux, soupirant après sa présence tout en la redoutant.

« S’il te plait Balian…Je me sens totalement perdue… »

Evidemment que c’était important ! Enfin cela lui semblait logique dans tous les cas. Jamais elle ne l’aurait réveillé si cela ne l’avait pas été…Enfin ça avait du arriver lorsqu’ils étaient plus jeunes, principalement pour faire des bêtises mais là, ce n’était pas le cas. Elle avait un réel problème et ne s’en sortait pas. Alors elle avait cherché refuge auprès de lui, espérant qu’il avait des réponses et la première qui lui livra la laissa bouche bée…

« P…Pardon ? Qu’est ce que tu veux que je fasse au bordel ?! »

A ce qu’elle en savait, c’était un endroit réservé aux hommes qui étaient accueilli par des femmes de petites vertus comme dirait sa mère…Fronçant les sourcils, elle se demanda un instant si Balian ne lui proposait tout bêtement pas d’y entrer en tant que catin…Non, bien sûr que non, il devait plaisanter…Même si elle trouvait la plaisanterie douteuse sur le coup.  Avant qu’elle n’ai une illumination…Non, c’était ce que lui ferait après tout, elle le lui avait demandé.

Le pire serait sans doute qu’il avait rit, s’attirant un coup d’œil meurtrier. Elle souffrait. Elle était épuisée, fatiguée et lui…il riait. Elle eut soudainement envie de le gifler mais il la calma quelque peu par la tendresse de sa voix alors qu’il la traitait de naïve. Oui elle l’était sur certaines choses, c’était indéniable. Plus encore en cet instant que le voile qu’elle s’était jeté sur les yeux inconsciemment s’effilochait de plus en plus. Mais quand il continua, elle pâlit brusquement. Désir ? Comment ça du désir ?!!! Mais non, mais non, c’était impossible non ? On ne pouvait pas ressentir de désir pour un ami si ? Et surtout lui…Oh, elle n’avait jamais nié qu’il soit séduisant, n’avait jamais nié qu’elle aimait la place qu’elle avait prêt de lui parce que c’était la plus importante mais…Qui disant désir, disait avoir envie de faire l’amour non ? Et avoir envie de faire l’amour avec un ami, presque un frère, c’était mal hein? Et puis cela voulait dire un changement dans leur relation, peut être un couple, confiance…Et cela n’était pas possible. Muette, elle le fixa, les yeux agrandit, oscillant entre panique, déni, colère…

« C’est…une catastrophe. »

Parce que si elle se trouvait dans cette situation c’était bien de sa faute à lui ! Et le voilà qui lui demandait de qui elle parlait…Il se moquait d’elle là non ? Ce n’était pas évident ?! Apparemment pas. Les yeux de Cassandre se mirent à scintiller de colère et si Balian était souvent ironique, elle avait bien apprit aussi siffla-t-elle entre ses dents :

« Alors je suis très contente de te faire rire, malheureusement, je pense que tu ne vas pas rire longtemps, je parle de toi crétin ! Puisqu’il faut, en plus, allumer toutes tes lanternes ! »

Alors en fait, depuis le début il ne savait pas du tout de quoi elle parlait. Bravo ! Songea-t-elle ignorante qu’elle avait été un peu trop brouillonne pour ça. Elle ne voyait que la catastrophe qui se profilait, Balian qui en riait tout en demandant gentiment de qui elle parlait. Bon au moins, ça n’avait pas eu l’air de lui faire le même effet qu’a elle. Un bien terriblement vexant en fait.

« Donc je me fiche de comment tu te débrouille mais tu arrêtes ça ! »

Cassandre esquissa au moins une moue désolée tandis qu’il répliquait sèchement. Certes, elle aurait sans doute dût attendre le lendemain et se priver de le voir bouche bée plutôt que de venir en pleine nuit…Voir ne pas lui en parler du tout. Mais perdue comme elle l’était, elle avait tout naturellement cherché refuge auprès de lui, c’était presque instinctif et cela l’avait toujours été, combien même le tenait elle responsable de son état. Une partie d’elle savait qu’elle était injuste que la faute, si faute il y avait, venait d’elle principalement. Qu’avait elle donc réellement cherché en l’embrassant ? Outre ce défi relevé évidemment. Se connaissait elle aussi bien qu’elle le pensait ?

Déstabilisé, embrouillée, elle ne savait plus quel chemin prendre, comment le regarder lui. Elle ne pouvait plus supporter ce mal qui la rongeait et en même temps, avait une peur bleue d’elle-même. Il avait réveillé quelque chose en elle, une inconnue qui sommeillait jusqu’à présent. Elle ne voulait pas mettre de nom  sur ce qu’elle ressentait, préférant être ignorante.

Elle ne savait pas ce qu’il pensait de tout ça. Ni même de la position a adopté vis-à-vis de lui maintenant. Le désirer changeait tellement de chose et pourtant, c’était si limpide en même temps. Que se passerait il si elle assouvissait ce désir comme il le lui disait. Si là, maintenant, elle l’embrassait ? Si elle laissait cet autre prendre sa place ? Elle risquait tellement…Le perdre lui. Définitivement.  D’un autre côté, maintenant qu’elle avait ouvert les yeux, supporterait elle de le côtoyer tous les jours, de lui parler, de lui sourire et qu’il lui sourit en même temps tout en niant ce qui lui faisait si mal ? Son esprit se perdait en conjoncture, entrant en conflit avec ces propres désirs, nouveaux, méconnus. Pourrait elle seulement endurer encore une nuit brûlante, sachant pertinemment les traits qui se cachait derrière la brume de ses rêves ? Reconnaissant alors les mains qui la parcouraient ? Et puis la petite voix qui lui susurrait qu’après tout, découvrir l’amour avec Balian n’avait rien de sale ni même de malsain, bien au contraire. Elle avait confiance en lui, le connaissait depuis longtemps, il ne lui ferait pas de mal, il la respecterait assez pour ne pas la traiter avec indifférence après…Qu’il avait l’habitude de ces jeux-là, qu’elle ou une autre ne ferait sans doute pas une grande différence pour lui…Qu’il serait facile de le séduire si elle le voulait vraiment…Ah qu’il serait doux de se laisser hypnotiser par cette voix, songea-t-elle en détournant les yeux de sa poitrine découverte.

Et puis cette autre voix, qui hurlait dans son esprit…Si elle franchissait ce pas, elle ne pourrait jamais revenir en arrière. Elle risquait bien plus que son corps et, inconsciemment, elle savait…Douloureusement d’ailleurs, que s’il y avait une chose qui lui était interdite, c’était bien de tombée amoureuse de lui. Elle était ce qu’il haïssait le plus et même si cela la faisait souffrir, elle l’avait accepté depuis longtemps maintenant, si elle se prenait à l’aimer, il n’y aurait jamais de retour. S’il venait à l’apprendre, il la tuerait sans sourciller, malgré tout ce qu’ils avaient pu partager. Elle n’en doutait pas, avait déjà vu la haine dans ses iris…Il l’aimait comme une petite sœur, comme sa meilleure amie, pas autrement, elle le savait…Conserver cet amour-là et lui cacher ses secrets, les protéger tous les deux…Ce serait le plus raisonnable non ?

Elle avait envie de s’arracher les cheveux…Le désir se disputant la raison. Et si elle cédait une fois. Juste une fois…Non ce n’était pas raisonnable et puis…Balian pouvait très bien la repousser alors s’ajouter une humiliation supplémentaire à celle qu’elle vivait…Son regard était fascinant, songea-t-elle.

« Vexant ? C’est tout ce que tu trouves à dire ? Evidemment que c’est une catastrophe ! »

Elle posa ses mains tremblantes sur des hanches, le fusillant des yeux lui et son petit air goguenard, avant de soupirer lourdement.

« Regardes moi, je suis ta meilleure amie Balian…Celle qui te connait le mieux, tes faiblesses, tes forces…Ce que tu cherches a tout prix a cacher. Ta gentille petite sœur. Je ne veux pas perdre cela. Je ne veux pas risquer de te perdre juste parce que…parce que …J’ai un moment d’égarement on va dire. »

Moment d’égarement ? La petite voix mesquine de son esprit se mit à ricaner. C’était quoi ce gros mensonge ? Un moment d’égarement ne dure qu’un court moment hein, le tien, ça fait une semaine. Espérer que cela passe était comme vouloir que la lune prenne la place du soleil. La preuve, elle le savait parfaitement nu sous les draps et rien que cette idée avait le don de la troubler plus qu’il ne le faudrait. En fait c’était un miracle qu’elle arrive à tenir une conversation à peu près cohérente…Ses yeux n’avaient de cesse de vouloir se gaver de l’étendue de peau nue qu’il lui montrait. Les paumes de ses mains fourmillaient de l’envie de le toucher et elle se prit à repenser aux nuits qui la hantait, son regard s’assombrissant du désir qu'elle tentait de réprimer, mais vulnérable, elle avait bien du mal, sentant déjà ses tentacules jusque là retenues par l'anxiété et la peur, s'infiltrer dans ses veines.

« Ah…Je n’aurais pas dû venir en fait. C’était une mauvaise idée…Je divagues...J'ai envie de...»


De quoi ? De lui ? De sa bouche ? De ses mains ? Oh dieu ! Elle avait beau argumenter, se réfugier au cœur de la raison...C'était mal, ce n'était pas ce qu'elle voulait, mais c'était ce qu'elle désirait...Alors tant pis...Elle fondit sur sa bouche souriante, arrogante, réduit la distance jusqu'a ce que leur corps se touchent...C'était une très mauvaise idée.