« Mais je te l’ai déjà dit ! Tu ne m’écoute pas… »

Marmonna Cassandre en baissant les yeux sur Balian installé un peu plus bas, occupé a ramasser les pommes qu’elle faisait tomber. Ils s’étaient un peu éloignés de la ville mais restaient tout de même à distance respectueuse de la forêt. Autant ne pas tenter le diable hein ! Enfin ce n’était pas comme si ils craignaient quelque chose avec ce magnifique soleil mais on ne savait jamais. La vie lui avait appris à être prudente tout simplement. Ils apprenaient très tôt, sorcière ou non d’ailleurs, à se méfier, à éviter les endroits dangereux, bien qu’elle ai plus d’une fois transgressé ces règles en étant plus jeune.

Elle secoua une branche vigoureusement, faisant tomber les fruits au sol, ou directement sur Balian :

« Oups, pardon ! Alors je te disais ma mère c’était mis dans la tête de m’apprendre a coudre, non mais tu m’imagine avec une aiguille, assise au coin du feu avec un air totalement soumis sur le visage ? Non, non, pas moyen, ce n’est certainement pas pour moi ! Oui mais ma chérie, c’est ce que font les jeunes filles tu sais ! – renchérit elle en imitant la voix de sa mère – Et bien non, moi j’ai pas envie et de toute façon, je ne suis pas assez patiente pour ça. Nora elle, elle adore ça, je ne comprends pas. En plus, j’ai les doigts pleins de minuscules piqures ! »

Soupirant lourdement, elle s’installa à califourchon sur une branche, laissant ses jambes pendre dans le vide et croisa les bras sur la poitrine.

« Saint Ciel ! Ce qu’elle peut être têtue quand même ! »

Ca c’était un peu l’hôpital qui se moquait de la charité évidemment. Cassandre était une tête de mule de mauvaise foi la concernant, c’était certain et d’ailleurs, le ricanement de son ami ne lui échappa pas. Le fusillant du regard elle haussa une épaule. C’était de bonne guerre, même si elle se retint de lui rétorquer qu’il n’était pas mal non plus dans le genre âne bâté. Puis son visage prit une moue songeuse :

« Dans trois jours c’est l’anniversaire d’Enguerrand…Et je ne sais pas quoi lui offrir, tu as une idée ? Après tout, il a tout, au fil des années ça devient difficile…Quoique, on a tué une brebis il n’y a pas longtemps, je pourrais peut être lui fabriquer une bourse avec sa peau, tu en pense quoi ? »

Cassandre jeta à son compagnon un regard incrédule :

« Mariée ? Non mais tu t’entends ?! Même toi tu plains mon futur mari si je devais en avoir un ! »

Il le plaignait parce que, selon lui, il aurait à subir les sauts d’humeurs de la jeune femme, son caractère de cochon lorsqu’elle s’y mettait, ses manières franchement pas féminines et j’en passe. Si on ajoutait à cela qu’elle commençait à avoir une réputation de vieille fille… Non pas que Cassandre courre après le mariage, loin de là ! Mais c’était quelque peu vexant d’une certaine façon. Sa mère s’était mariée a 17 ans, certaine de ses amies étaient mariées et avaient deux ou trois marmots pendu à leurs jupes quand Cassandre, a 23 ans, avait déjà repoussé deux demandes, seulement deux demandes avouons le…Cela ne l’intéressait pas vraiment…Enfin disons que c’était trop…Bref, ce serait s’enfermer dans un rôle qui ne lui conviendrait pas du tout. Pourtant Diane n’avait jamais eu à se plaindre de son mariage, loin de là, mais Louis l’aimait réellement…Quand Cassandre devait se confronter a un intérêt masculin principalement porté en dessous de la ceinture. A son âge, on estimait qu’elle n’était bonne qu’à ouvrir les cuisses apparemment…Un air frondeur sur le visage, elle observa d’un air absent Balian la rejoindre dans l’arbre. Les années avait vu le jeune homme devenir un homme au physique élastique et souple, quelque part, Cassandre trouvait sa façon de bouger fascinante, sans trop savoir pourquoi.

« Et puis c’est trop tard pour moi, je suis trop vieille maintenant pour me marier. »

Selon les matrones de la ville c’était certain mais d’un autre côté, elle préférait vivre comme cela que liée a un homme qui n’en aurait rien à faire d’elle. Finalement, elle changea de sujet, embrayant sur l’anniversaire d’Enguerrand qui se profilait, mal lui en prit apparemment. Faussement vexée elle se renfrogna :

« Je ne vois pas de quoi tu parles ! Ma paire de guêtres en cuir de brebis était parfaite ! »

Oui, enfin, avec le recul, elle devait bien s’avouer qu’elles étaient mal faites surtout et pas du tout adaptée à Balian…Une erreur de jeunesse hein ! Elle fronça les sourcils en plissant le nez :

« Trop ravie justement. »

Soupirant lourdement, elle s’adossa à l’arbre, oubliant les pommes et leva les yeux sur son ami.

« Mais je pourrais faire un effort pour Enguerrand et toi ? Que vas-tu lui offrir ? Et pitié pas comme l’année dernière, il ne savait plus où se mettre quand je l’ai croisé devant le bordel ! »

Bon, elle n’était pas naïve, elle savait que les hommes de l’âge d’Enguerrand ou Balian courent après les femmes et elle avait toujours fermé les yeux, faisant celle qui ne savait rien. Cela dit, elle n’était pas sensée le savoir pour les deux jeunes hommes et cela les arrangeait certainement. L’inconvénient d’avoir une femme dans leur relation sans doute.

« Encore maintenant, il en rougit quand on passe pas loin ! »

La pomme fila tout droit sur le beau visage de Balian. Mais ce dernier avait tellement l’habitude des réactions de la jeune femme qu’il n’eut absolument aucun mal à l’éviter :

« Pour ta gouverne, je ne suis pas une mégère ! Je suis juste une fille de caractère, il y a une sacrée nuance ! »

Et aussi une sorcière mais ce mot ne passera certainement jamais ses lèvres en présence du jeune homme. Combien le secret pouvait lui peser, il était encore supportable avec eux, bien qu’elle n’aimait pas spécialement leur cacher des choses. Elle avait fait une croix sur l’espoir qu’un jour, ils seraient prêts à l’entendre. Elle l’avait fait le jour même où l’on mettait madame Baucand en terre. Alors elle mentait. Elle mentait en insultant les sorcières, elle mentait en les maudissant…Enfin certaine le méritait certainement, tout n’était pas blanc ni noir et les sorcières blanches se faisaient rares. Mais elle mentait tout de même. Qu’importe, c’était comme ça, songea-t-elle avant de tirer sa conscience de ses pensées et de regarder Balian :

« Evidement que ça m’arrangerait. Je ne suis pas contre le mariage mais…Juste que je ne me vois pas faire la popote avec quinze marmots autour de moi qui hurlent et s’agrippent à mes jupes pendant que leur ivrogne de père est coincé à la taverne…Bon, je noircis le tableau mais voilà. Oh et puis tu peux dire, je ne te vois pas en train de faire ta cour a qui que ce soit hein ! Et pourtant, tu commences à te faire vieux tu sais. »

Elle sortit un bout de langue rosé entre ses dents, moqueuse et finit par laisser tomber le sujet épineux du mariage. Pour l’instant, sa mère la laissait tranquille et c’était tout ce qu’elle demandait. Au pire Nora ferait certainement une meilleure épouse qu’elle, c’était clair. Si une fille Beauclair devait se marier, se sera Nora voilà tout.

Elle fit mine d’être vexée devant la réflexion de son ami concernant ses guêtres. Et encore, ce n’était pas le pire qu’elle avait pu faire, bonne joueuse elle confirma :

« Certes, pas pour toi. »

Néanmoins, elle savait qu’il les avait toujours, comme elle avait toujours la paire de gant en fourrure de blaireau qu’il lui avait offerte et le délicat mouchoir en dentelle offert par Enguerrand par exemple. Enfin, elle avait tout gardé c’était évident. Cependant, elle lui retourna la question en y mettant une condition et la réponse de Balian lui fit claquer la langue.

« Je me demande qui de vous deux est le plus indécrottable en fait. Entre toi qui coure après tout ce qui porte un jupon et Enguerrand qui attend sa princesse…Je veux dire…Il y a un juste milieu que ni toi ni lui atteignez. »

Ce n’était pas dit comme une critique bien que la vie dissolue de Balian avait tendance à l’agacer prodigieusement, surtout lorsqu’on la prenait pour la coursière de service. En vérité, elle préférait ne rien savoir mais c’était difficile parfois d’être aveugle à certaines choses. D’ailleurs, elle eut tôt fait de plaquer ses mains sur ses oreilles lorsqu’il renchérit :

« Pitié Balian ! Je ne veux pas savoir ce que tu fiche derrière ces murs ! »

Bon évidement qu’elle le savait mais que Balian fréquente un tel établissement avait tendance a la mettre mal à l’aise. Il avait tout pour rendre une femme heureuse et les prétendantes ne manquaient pas d’ailleurs, mais elle avait l’impression qu’il n’en avait que faire, qu’il fuyait au contraire ce genre de débordement. Mis à part avec elle, Cassandre ne l’avait jamais réellement vu parler avec une fille sans que cela ne tourne immanquablement au flirt. Mais bon, elle, il ne la voyait pas comme une fille donc c’était plus facile sans doute.

« Une arme ? répéta-t-elle en décollant ses mains de ses oreilles, tu me la montreras ? »

Cassandre n’avait pas vraiment une grande passion pour les épées, sachant que celle-ci pouvaient la tuer alors que peu d’autre chose en avait la possibilité, mais elle aimait bien l’ambiance de la forge, enfin quand le père de Balian n’y était pas. Il avait une sale manière de la regarder et aimait balancer des piques devant son fils histoire de le chatouiller…C’était idiot comme réaction. Et puis c’était fascinant de regarder Balian travailler…Un peu trop parfois.

Le sourire de Cassandre vacilla légèrement lorsqu’elle entendit l’amertume qui errait dans la voix de Balian. Elle savait plus ou moins ce qu’avait été son enfance. Il avait raison, elle, elle n’avait pas a s’en plaindre. Sa mère était dure mais juste alors que le père de Balian était brutal, violent, tyrannique…Elle décida de ne pas relever, déglutissant avec une légère difficulté. Cachant son embarras en détournant les yeux. Oui, elle avait été adorée, par son mère et dans une moindre mesure par sa mère. Mais parfois, elle se disait que c’était peut-être le fait d’être des sorcières, elle ne le savait pas. Elle préféra de loin réagir sur sa provocation. De toute façon, Balian n’aurait pas accepté qu’elle en parle, même si il savait qu’elle savait.

« Pfff…J’aurais préféré être un homme tiens ! Vous avez toujours le beau rôle.»

Oui sa répartie manquait sans doute de mordant et elle le savait. Néanmoins, elle étouffait parfois dans les carcans de son époque, combien même n’y était-elle pas soumise a cause de singularité. A cause de ce qu’elle était. Une sorcière vivait longtemps, elle possédait des charmes pour cacher son âge, son véritable visage, le prix a payer pour être quelqu’un à part. Combien même n’avait rien demandé d’ailleurs. Elle secoua légèrement la tête….

« Tu es un idiot Balian, tu ne te rends même pas compte de ce que tu aurais à offrir si tu arrêtais un peu de papillonner à droite ou à gauche…-Elle se renfrogna légèrement – Cela dit, en étant franche…Je ne suis pas forcément pressée de te voir marié. »

Parce qu’alors, elle devrait le partager et elle n’arrivait pas vraiment à le concevoir. Peut être était elle trop possessive, trop peureuse, trop…Bref. Egoïstement non, elle n’était pas pressée parce que ça voulait dire le perdre. Mais comme il le disait si bien, on ne pouvait pas aller éternellement dans le sens de nos désirs. C’était une conversation qu’ils avaient parfois tout en tournant en rond d’ailleurs. Un peu perdue dans ses pensées, elle releva vivement les yeux lorsqu’il lui renvoya ses propres paroles. Levant le menton dans un geste frondeur, elle pinça les lèvres avant de les ouvrir.

« Il faut croire que non ! De toute façon, on me prend pour votre maitresse à toi et Enguerrand. A les entendre on mène une vie de débauche. De quoi refroidir n’importe qui…ou trop les échauffer, cela dépends. »

Samuel par exemple avait cru sympa de la coincer dans une grange, allant même jusqu’à la demander en mariage histoire d’avoir une excuse pour le consommer en avance pensant, a tord, que c’était ce qu’elle voulait pour lui céder. N’importe quoi ! Les hommes ne se rendaient même pas compte de la chance qu’ils avaient. On ne le reprochait rien quand le moindre faux pas de sa part était condamné. Cela dit, elle ne s’en plaignait pas. Quelque part, elle pourrait même dire que cela l’arrangeait.

« L’oie blanche risque de te mordre une oreille alors fais attention à toi ! »

Elle ne se sentait pas vexée par ces mots parce qu’ils étaient vrai. Vierge ? Totalement…Après son petit air moqueur lui donnait juste envie de le lui arracher à coup de bec mais en même temps, ça lui donnait un petit air des plus…Enfin, ça lui allait bien en fait. Mais le sujet n’était pas là et il sut la détourner en parlant du présent qu’il prévoyait pour leur ami. Une épée. Non, elle n’était pas fan mais elle savait reconnaitre le travail de Balian. Il avait de l’or dans les doigts, une habilité certaine, elle adorait le regarder travailler. L’air concentré que son visage arborait dans ces moment-là.

Il sauta au bas de l’arbre, lui tendant les bras et elle s’y jeta sans une hésitation, attrapant ses épaules.

« Tu l’a finie ? »

Cassandre leva les yeux au ciel alors qu’il lui rétorquait que cela aurait été dommage qu’il soit homme. Dommage ? Vraiment ? Au moins, ils ne seraient pas les cibles de rumeurs toutes plus folles les unes que les autres. Cela était peut-être la raison qui faisait qu’elle n’était pas mariée, même pas fiancée en fait. Peut-être mais cela l’arrangeait, si elle était totalement franche avec elle, c’était cela. Elle ne voulait pas se battre pour refuser une demande des plus intéressantes. Elle aimait sa vie comme elle était, tout simplement. Aussi préféra-t-elle parler de lui. Balian était volage oui, il ne s’attachait pas et n’espérait pas qu’on le fasse pour lui. Une huitre qui se fermait et elle eut l’air un peu songeur en répondant à sa question :

« Le respect, la loyauté, l’attention aussi. La tendresse très certainement…Plus que beaucoup d’homme que je connais. Mais ça, c’est une partie de toi que tu caches systématiquement. Je ne t’ai jamais vu parler avec une femme sans sortir ton sourire charmeur en bouclier. »

Et dieu savait qu’il l’était lorsqu’il le voulait. Il ne l’avait jamais été avec elle mais elle ne se leurrait pas, elle n’était pas sûre de pouvoir rester de glace si il le faisait. D’autant plus qu’elle savait ce qui se trouvait au-delà de ce qu’il montrait aux autres. Aimerait elle qu’il le fasse ? Franchement, elle ne le savait pas…Une partie d’elle le voulait parce qu’elle n’était qu’une femme qui aimait se voir comme telle chez les autres, mais ne risquait elle pas, alors, une perte bien plus immense ? Même en sachant que jamais Balian ne la traiterait avec irrespect cela risquait de briser quelque chose…Et est ce que le jeu en valait la chandelle ? Et d’abord….Pourquoi songeait elle a cela ? Cela faisait longtemps qu’elle s’était faite à la raison qui voulait que ni lui ni Enguerrand ne verrait autre chose en elle qu’une amie, qu’une sœur même. C’était peut-être vexant mais c’était un trésor qu’ils lui offraient sans concession. Elle se passa la pointe d’une langue nerveuse sur les lèvres alors qu’il tapait dans le mille. La conversation prenait un tour qui la mettait mal à l’aise d’une certaine façon. Lui répondre ‘oui bien sur ! » avec désinvolture lui paraissait terriblement difficile sur le coup. Soupirant légèrement, elle haussa les épaules :

« Ta femme sera comme toute les autres femmes. Elle n’acceptera jamais que tu sois proche d’une autre et je ne suis absolument pas prête à te partager. »

Et elle se demanda une fraction de seconde si elle serait prête un jour…Une fraction de seconde puis elle repoussa cette pensée, peut-être pour ne pas y trouver de réponse. Finalement, le sujet de l’anniversaire d’Enguerrand, ainsi que de son cadeau tombait bien et elle sourit lorsque Balian lui apprit la teneur du sien. Cela ne l’étonnait pas vraiment mais elle était pressée de voir le résultat. Nul doute que pour son meilleur ami, Balian avait déployé tout son art et son habilité. Elle sauta à sa suite, retombant contre lui, ses larges paumes enserrant sa taille pour lui éviter une culbute. Elle avait toujours aimé qu’il la touche, c’était comme se sentir objet précieux même s’il provoquait à chaque fois une bouffée de chaleur qu’elle était bien en peine d’expliquer. Ce n’était pas nouveau et elle a avait appris à faire avec même si parfois elle s’interrogeait, elle ne poussait jamais très loin ses investigations. Cassandre lui sourit avant de le suivre avec bonne humeur, excitée aussi a l’idée d’admirer avant Enguerrand le présent qu’il aurait bientôt.

Arrivés à quelques mètres, il lui fit signe de s’arrêter et elle obtempéra sans discuter, attendant qu’il revienne avec l’assurance que la voie était libre. Cassandre n’aimait pas le père Baucand et il le lui rendait bien. Moins ils se croisaient mieux cela était. Savoir qu’il se servait d’elle pour blesser son fils avait tendance à lui donner des envies de meurtre. Elle avait été bien trop gentille de se contenter de crises d’urticaire qu’on se le dise ! Finalement il lui fit comprendre que la forge était vide et elle s’empressa de l’y suivre, excitée comme une puce. Se hissant sur une barrique qui trainait dans un coin de la forge, elle admira Balian faire quelques passes avec, à ses yeux du moins, un trait argenté. Il était sans doute aussi doué qu’Enguerrand, même plus gracieux d’une certaine façon. Puis, il finit par la lui tendre. Délicatement, elle s’en saisit et fut surprise de son poids avant de raffermir son poignet dessus. S’intéressant au manche, elle releva la tête avec un sourire éblouissant teinté de fierté :

« Tu as fait un travail magnifique ! Le blason de sa famille sur la garde est si fine…Tu as dût y passer des heures…Dommage que je n’étais pas là, j’adore te regarder travailler. »

Ajouta-t-elle avec une petite moue avant de la lui rendre.

« Que te reste –t-il a faire ? Elle me parait parfaite comme elle est mais je suppose que je n’y connais rien… »

« Evidemment qu’elle lui plaira ! Regarde ce que la ville lui donne comme épée…Celle-ci…Je me demande si il osera même l’arborer a sa ceinture pour le travail. Ce serait moi, elle finirait dans un coffre ! »

Approuva la jeune sorcière en riant avant qu’une idée, pas tout à fait neuve parce qu’elle y avait déjà pensé, ne revienne la tarauder…Son sourire se fana un peu et elle se tritura les ongles ne sachant pas vraiment comment aborder la chose. Et puis, elle inspira profondément. Levant les yeux sur son ami, elle se lança :

« Est-ce que…Est-ce que tu pourrais me faire une dague ? »

Se mordillant la lèvre, elle reprit :

« Je sais que normalement je devrais passer une commande mais, je te le demande en tant qu’amie. Je pourrais en acheter une mais…Je sais que tu sauras faire un travail plus précieux, plus…Enfin bref…Tu pourrais ? »

Elle avait peur qu’il lui demande pourquoi mais la réponse était toute trouvée. Elle ne pouvait pas toujours compter sur eux n’est-ce pas ? L’épisode de Samuel le lui prouvait, sans parler de ceux qui avaient suivi. Cassandre faisait peur par son indépendance mais elle représentait un défi pour certain. Un défi qu’ils n’hésitaient pas à relever pour son malheur. Un jour peut-être qu’elle ne pourrait pas les repousser, peut être que…Enfin, elle était bien plus puissante qu’une simple jeune femme mais pas pour autant invincible. Et puis…Et puis elle voulait que Balian fasse quelque chose juste pour elle, c’était idiot parce qu’elle avait beaucoup de cadeau de lui, c’était illogique et peut être que leur conversation sur le mariage l’influençait légèrement, sans doute même. Jusqu’à présent elle n’avait jamais sérieusement envisagé de les perdre, tous les deux….Même si elle ressentait beaucoup de choses pour Balian que pour Enguerrand, néanmoins, elle se rendait compte qu’ils grandissaient et qu’un jour ou l’autre ils lui seraient arrachés. Elle n’y pouvait pas grand-chose au demeurant.

Son visage prit une petite moue suppliante :

« S’il te plait ? »

Certaine qu’il émettrait quelques objections parce qu’il le ferait, estimant qu’elle n’avait pas a chercher à se défendre puisqu’elle les avaient eux.

« Demande moi ce que tu veux en échange ! C’est un bon marché non ? »

Reprit elle avec un petit air mutin sur le visage, esquissant un sourire amusé. Elle songeait a un défi comme il pouvait lui en donner étant enfant…Juste qu’ils n’étaient plus des enfants. Ni l’un, ni l’autre mais ça, c’était encore trop abstrait pour elle. Enfin, c’était sans doute ce qu’elle aimait penser.

"Je préférerais qu'il n'en ai pas besoin moi tu vois."

Enguerrand était soldat, c'était vrai, il était fort, courageux et prudent mais il n'en restait pas moins qu'elle s'inquiétait parfois. C'était tout de même un métier dangereux, surtout face parfois a des Chasseurs avinés ou se prenant pour les maîtres du monde en pérorant que leur chasse aux sorcières valait bien un petit remue ménage dans la ville. N'importe quoi en somme...Et puis finalement une pensée en amenant une autre, elle finit par lui exprimer son désir de posséder une arme. Oh rien de bien folichon attention ! Une petite dague qu'elle pourrait facilement dissimuler, une petite dague qu'elle ne se voyait pas acheter au marché, sachant que Balian ferait un travail plus soigneux. Elle capta son coup d'oeil suspicieux et devina sans peine la question qu'il allait lui poser aussi y coupa-t-elle cours en faisant une petite moue adorable et une supplication.

Avant de promettre n'importe quoi. Sur le coup ça paraissait une bonne idée non ? D'ordinaire, il sautait sur l'occasion pour lui faire faire ce qu'il voulait, pour la pousser dans ses limites en lui lançant un défi au visage. Pourquoi cette fois ci serait elle différente ? Elle s'attendait déjà a devoir lui faire un travail de couture justement parce qu'elle s'en était plainte auparavant. Mais une chose était sûre, elle ne s'attendait certainement pas a le voir arborer soudainement un air qu'il avait souvent lorsqu'il était en..comment dire..."Chasse". Cassandre fronça légèrement les sourcils, ne sachant soudainement plus vraiment sur quel pied danser et décréta :

"Je n'aime pas quand tu me regarde comme ça en fait."

Enfin ce n'était pas vraiment ne pas aimer, c'était juste qu'elle se sentait soudainement mal à l'aise sous la caresse de son regard. Parce qu'il le faisait comme si elle était la chose la plus précieuse du monde, unique et c'était troublant. Beaucoup trop troublant. Il lui semblait que la température de la forge venait de grimper de quelque degrés.

Elle retint un mouvement de recul alors qu'il se penchait sur son oreille, y murmurant une mise en garde qui avait tout d'une invitation...Mais une invitation a quoi ? Déstabilisée, elle garda le silence pour commencer...A quoi jouait il ? Ou alors il le faisait exprès pour se jouer d'elle !

Elle ne savait pas...Et quand ce qu'il voulait tomba, elle papillonna des paupières...Pardon ? Surprise, elle scruta ses traits. Lard ? Cochon ? Ah non..Défi évidemment...Alors ce n'était qu'un jeu hein ? Saleté ! Aussitôt qu'elle eu compris, une étincelle maligne s'alluma dans ses yeux.

"Un baiser ? tu es sûr ?"

Reprit elle avec un air parfaitement sournois sur les traits. Oh elle pourrait le lui faire sur la joue, s'il s'attendait a autre chose, il en serait pour ses frais non ? D'un autre côté, il la connaissait tellement bien qu'il était capable de prévoir son raisonnement hein ? Alors...

Elle leva les mains, les posant sur ses joues, une lueur diabolique dans les yeux. Très bien, un défi était un défi n'est ce pas ? Et elle les avait toujours relevé haut la main, pas question que ça change. Alors ce n'est pas la joue qu'elle visa, loin de là même, non, elle posa ses lèvres sur les siennes et franchement...Ce n'était pas une bonne idée, dernière idée a peu prêt claire avant qu'il n'y ai que le chaos, le vertige et une explosion d'étoile..Enfin lui semblait il...

Oui, Enguerrand était un soldat. Elle n’avait rien contre cela, son ami en était même fier, elle aussi d’une certaine façon, mais elle s’inquiétait, elle n’y pouvait rien. Haussant une épaule, elle accorda cela à Balian. Il était un homme, il voyait les choses différemment sans doute et chercher a le convaincre serait une perte de temps. Et puis, elle voulait lui demander une faveur. Cela lui trottait dans la tête depuis un moment mais elle n’avait encore pas trouvé le courage de lui en faire la demande. C’était idiot parce qu’elle était sûre qu’il ne refuserait pas, mais, par jeu et aussi pour éviter des questions un peu embarrassantes, elle l’entraina avec elle dans un petit jeu. Un jeu auquel ils jouaient depuis qu’ils étaient enfants. Elle avait juste oublié qu’ils ne l’étaient plus. Enfin elle n’y voyait aucun mal, cependant le doute l’envahit lorsqu’il se mit à la couvrir d’un regard chaud et perçant. Ne venait elle pas de faire une erreur ? Elle n’imaginait pas Balian s’amuser à la prendre pour une de ses éternelles soupirantes et soudainement, elle les comprenait en sentant une bouffée de chaleur se répandre dans ses veines.

Il la fit frissonner en murmurant doucement, une attitude qu’il n’avait jamais eue avec elle et qui la troublait. Sans trop savoir pourquoi d’ailleurs, aussi fut-elle bien en peine pour lui répondre :

« Parce que je n’aime pas, c’est tout. »

Sur le coup, elle ne trouvait rien de percutant, d’amusant ou de léger à dire. L’air lui semblait devenir plus lourd, plus étouffant, c’était sans doute la première fois qu’elle ressentait ça avec autant d’acuité avec lui. Cela l’étonnait, la troublait, lui donnait le vertige et son échappatoire d’une certaine façon, fut sa demande. Tellement surprenante qu’elle voulut y voir un défi. D’ailleurs, cela ne pouvait être que cela n’est-ce pas ? Balian était joueur, elle le savait alors il jouait avec elle, tout simplement, juste qu’elle n’avait pas du tout l’habitude de ce genre de jeu. Mais très bien !

Reprenant soudainement l’assurance qui lui avait fait défaut quelques secondes avant, elle sourit avec un rien de machiavélisme, fermement décidée à relever le gant qu’il lui jetait. Mais si elle avait pensé se contenter d’un baiser rapide, elle en fut pour ses frais. Elle sentit la main de Balian entourer sa nuque, la pointe de sa langue la pousser a entrouvrir les lèvres. Surprise, elle le fit, ouvrant un instant des yeux surpris laissant voir son désarroi mais aussi un trouble intense s’emparer de ses prunelles. Son cœur s’emballa comme un cheval fou, son sang lui sembla soudainement charrier des flammes liquides au travers sa chair et une faim étrange prit naissance au creux de son ventre. Elle faillit gémir de frustration lorsqu’il la lâcha mais cela ne dura qu’un instant avant qu’un soulagement bienvenue de la parcourt. Heureusement qu’elle était assise sinon, elle aurait vacillée en avant. Les joues un peu rouges, elle battit des paupières avant de baisser les yeux sur ses mains tremblantes qu’elle s’empressa de cacher dans son giron avant de relever le regard, cherchant sans doute quelque chose auquel se raccrocher et les paroles de Balian furent exactement ce qu’elle cherchait.

Elle eut une petite moue presque enfantine :

« Etant donné que je n’ai pas de point comparatif, j’ose espérer pour toi que ce sera pas un dague en bois de chêne. »

Après tout, Balian avait dût avoir échangé plus de baisers qu’il n’y avait de pavés dans la rue alors qu’elle…Cassandre masquait son trouble en se disant qu’après tout, c’était une bonne expérience qui n’engageait a rien et, quelque part, elle était plutôt contente que cela vienne de Balian. Jusqu’à présent, elle n’avait eu que des baisers forcés ou tellement maladroits… Peut-être qu’après tout ce qu’elle avait ressenti avec tellement d’intensité était normal…Enfin peut être. Repoussant une mèche de ses cheveux derrière son oreille, elle enchaina avec un air mutin :

« Se serait abusé que d’espérer mon initiale dessus ? »

Là, elle retrouvait un terrain connu entre eux, loin de l’inconnu sulfureux précédent et, bizarrement, son cœur se pinça.

Cassandre se donnait un mal de chien pour paraitre normale et éviter de restée les yeux fixés sur la bouche de Balian. Intérieurement, elle s’interrogeait, supportant une valse de questions qui ne lui laissait pas de répit. Si cela se trouve, elle s’enflammait pour rien et portait a un simple baiser trop d’importance mais en même temps…C’était le premier qu’elle recevait de son plein gré et Balian était loin d’être aussi maladroit que certain. Peut être que c’était tout le temps comme ça, après tout, elle n’en savait rien, si elle était courageuse, elle en réclamerait un second mais….A vrai dire, elle avait peur alors lorsqu’elle entendit le mot faveur, elle s’exclama sans réfléchir :

« Ah non ! Un baiser suffit ! »

Oula, elle avait été un peu brutale, Balian risquait de trouver sa réaction un peu disproportionnée aussi ajouta-t-elle avec un sourire taquin :

« Mais je peux toujours repriser tes pantalons à la place ! »

Le jour où elle le ferait n’était pas encore arrivé, c’était certain ! Pourtant, elle s’en était déjà chargée lorsque sa mère était morte, s’occupant des petits détails comme le linge ou les repas parfois, les laissant faire leur deuil jusqu’à ce que la sœur de Balian reprenne ses esprits. Son petit air provoquant la fit froncer le nez en souriant. Bon sang, elle le reconnaissait bien là. Et elle trouvait ça aussi rassurant que frustrant étonnament… Elle ne savait plus ce qu’elle attendait de lui ou ce qu’elle espérait de lui soudainement. C’était comme voir un étranger sous des traits qu’elle adorait. C’était toujours lui et en même temps quelqu’un d’autre. Elle se secoua mentalement. Il était vrai que Balian avait toujours provoqué chez elle des sentiments et des réactions parfois contradictoires mais jamais elle n’en avait été aussi consciente que maintenant.

Elle plissa le nez en une mimique faussement contrariée :

« Si tu ne veux pas que je te le fasse payer durant le reste de ta vie, je te conseille d’aller plutôt chercher un pain d’acier. »

Puis elle sauta de son baril, étonnée de voir ses jambes tenir le coup et dépoussiéra légèrement sa robe du plat de la main.

« il est temps que je rentre. »

Sa mère l’attendait certainement pour l’aider à préparer le diner et gare à elle si elle n’était pas au rendez-vous. Elle contourna Balian pour rejoindre la porte et se retourna sur le seuil, un doux sourire aux lèvres :

« Ah…Et merci Balian…Tu es vraiment un frère pour moi. »

Totalement inconsciente d’être d’une cruauté involontaire, elle lui fit un petit geste de la main et s’en fut dans la rue, finalement pas si certaine d’avoir été totalement sincère en parlant de fraternité.