Comment pourrais-tu seulement t'en rappeler? Te souvenir de ce froid mordant, plus agressif que toute température que ton frèle corps de gamine -autant que ton puissant corps de chasseuse- ait dû affronter. Comment pourrais-tu seulement te rappeler du visage de ta mère qui te serrait dans ses bras et des portes de cet étrange endroit résonner. Quelqu'un cherche à entrer. De force. Elle pleure quant à elle, te serre contre son corps tremblant et toi, petit bébé que tu es, tu ne comprends rien, tu pleures parce que tu vois celle qui t'as vu grandir -du moins pendant ta première année sur cette terre de gîvre qu'est la Suède- fondre en larmes sans réellement comprendre. Comment peux-tu t'en rappeler? Cet événement s'est produit il y à maintenant 27 ans. Les cheveux bouclés de ta mère frôlent ta peau de bébé et sa voix tremblante te chuchotte des mots doux que tu écoutes sans réellement comprendre.

Puisses-tu faire le bien, puisses-tu devenir grande, plus grande qu'elle.

Ce fut ses derniers mots. Les derniers qu'elle adressa au bambin que tu étais du moins. Ton père parvient finalement à défoncer cette porte de boix aux éffigie de vos ancêtre et te prendre dans ses bras alors que d'autres hommes la traînent vers l'extérieur. Par les cheveux, les bras, les vêtements, tout ce qu'ils peuvent trouver pour ne pas avoir à entrer en contact avec elle. Ils l'appellent sorcière. Ou Circé. Ça n'est là pas si différent, après tout. Toi tu pleures au début, puis tu t'en remets. Tu es jeune, tu n'y comprends rien et pendant la première partie de ton existence, ton père te dira que maman est partie, partie loin et qu'il ignorait si elle reviendrait. Puis tu te rendrait à l'évidence par toi-même : c'était une sorcière et elle est morte. Toi, heureusement, tu ne sembles pas avoir hérité de son don. Visiblement.

La manière dont tu es devenue chasseuse est fort nébuleuse pour tout le monde. On dit que tu aurais tuée ta mère sorcière de tes propres mains, que tu l'aurais égorgée puis décapitée avec la lance de ton père. Balivernes, tu as apprise comme tout le monde. Comme tout le monde tu as enfilé tes bottes au cap d'acier et enfourché ton destrier pour chevaucher dans les forêts blanches et froides de Suède. Comme tout le monde tu as sauvé ton père de l'une d'entre elle.

Il faisait noir et toi, tu lui avais désobéi une énième fois en enfourchant ton destrier, lance à la main, pour partir le chercher. Tes talents de traques avaient déjà depuis longtemps été révélés aux grands jours et suivre ses traces, ses gouttes de sang et bientôt ses râles ne fût pas bien difficile. Tu n'avais pas pris la peine d'observer, de te cacher et d'attendre, d'y aller par surprise, non. Tu t'étais élancée, bride abattue sur cette masse informe et gueularde qu'était la sorcière qui s'en était prise à ton paternel. Elle s'était retournée mais déjà, ta main avait fermement empoigné ta lance et l'avait fièrement portée vers le haut, prête à tirer, fière, certaine.

Depuis ce jour, tu n'as plus jamais manqué un tir.

Ton bras l'avait propulsé, s'était étiré pour laisser quitter tes doigts le bois froid de ta lance. Moins d'une seconde et elle trouvait de manière formidable, sanglante et puissante la tête de cette créature impie. Le seul crâne trop fracassé pour que tu puisse le récupérer. Dans toute ta carrière de jeune chasseuse.

Mais ça n'était pas aussi simple. Aucune histoire de ce genre ne l'est vraiment.

Ton père est tombé malade peux après et succomba d'une blessure infectée suite à cette nuit mouvementée. Tu ne veux pas en parler. Tu n'en parles à personne. Depuis ce jour tu ères, de villages en village, traînant derrière toi le cadavre de celles qui s'adonnent aux même pratiques que ta génitrice.