[LIBRE] It's where my demons hide

Invité

Achilles & a silhouette in a cemetery

« Thinking about you »

De la roche, de la terre humidifiée par les crachats de la pluie matinale, une odeur d’herbe fraîchement coupée, une autre de moisissure. Les genoux sur les graviers, Achilles sentait les pointes des cailloux lécher sa peau, au travers de son pantalon. La légère douleur qui en résultait le faisait se sentir vivant, lui rappelait qu’il n’était pas encore parmi eux, ces êtres enterrés sous ses pieds, reposant en paix, ou pas d’ailleurs. Une seule l’intéressait, probablement l’une des uniques tombes sans aucun corps à l’intérieur ! Douce ironie. Achilles venait parler à une tombe qui n’abritait rien qu’un peu d’air et du bois en putréfaction. Pourquoi avait-on creusé un trou dans ce cimetière pour y planter un cercueil qui n’abritait rien ? Pour l’honneur, pour le point d’encrage et surtout pour la religion. Comment pourrait-on exécuter la cérémonie d’adieu sans enterrement ? Son corps, peut-être était constitué des ossements souvent retrouvés en lisière de forêts. Personne n’aurait su le dire avec précision.

Ash sentait le vent sur sa peau rafraîchissant la chaleur de son corps qui irradiait. Ses mains s’étaient posées sur la roche, fraîche et dure. Ses paupières, closes, cherchaient à se remémorer ses traits. Les années rendaient l’exercice difficile, le visage de sa propre sœur de sang s’enlisant dans les limbes de son esprit. Achilles luttait pour ne jamais la laisser partir, pour à jamais se rappeler de ces hautes pommettes, de ce sourire empli d’innocence, de ces grands yeux d’un bleu déroutant qui le fixaient l’air crédule. Les larmes coulaient, par moment, s’arrêtant lorsqu’elles estimaient avoir assez abreuvés le sol terreux. Achilles ressentait souvent le besoin de venir parler à sa sœur, qu’elle soit là ou ailleurs, qui s’en soucie ? Un bateau à la dérive jetterait l’ancre dans le premier port venu. Ash déposa la petite statue qu’il avait taillée dans la pierre. Elle représentait une fleur, un narcisse. Cette fleur que sa jeune sœur appréciait tant. Celle-ci, ne fanerait jamais.

- À plus tard, Hoona.

Il se redressa, jeta un dernier regard à la tombe de sa sœur et s’éloigna. Ses pas étaient lents, ses jambes endolories par la position maintenue durant des heures dans les cailloux. Quand il rentrerait, il retrouverait encore ses genoux décorés de légères égratignures, rougis par de fines lignes de sang. Achilles s’en fichait, il ne trouvait cette quiétude qu’à cet endroit. Là où Hoona était censée reposer, là où il se sentait moins seul. Quand il rentrerait, il retrouverait une maison déserte, inanimée. Seule la silhouette moitié-morte de sa mère meublerait la demeure. Véritable loque de chiffon, elle restait prostrée, sans vie, attendant que la mort fasse son œuvre. Ash s’en retournerait sûrement à ses sculptures ou peut-être profiterait-il de cette solitude pour s’entraîner à l’arbalète, une arme qu’il maniait particulièrement bien.

Les fins rayons de soleil dessinaient des arabesques dans les flaques d’eau, colorant le liquide des luminosités de l’arc-en-ciel. Achilles, perturbé par ce reflet attirant, pencha un peu trop la tête et entra en collision avec un autre corps. Des cheveux fouettèrent son visage et il sentit une douleur vive au niveau du menton, ses doigts s’y portèrent dans un réflexe purement humain et d’une voix rocailleuse, il s’excusa :

- Excusez-moi ! Je ne regardais pas devant moi ...

Ses yeux se redressèrent et il vit son visage ...

Léonie ∞ Achilles

There's nothing that I'd take back, but it's hard to say there's nothing I regret. Cause when I sing, you shout, I breathe out loud, you bleed, we crawl like animals, but when it's over, I'm still awake. A thousand silhouettes dancing on my chest, no matter where I sleep, you are haunting me

Impossible de savoir comment ni pourquoi ces rêves hantaient son esprit plusieurs fois dans l'année. Toujours la même chose et toujours cette impression de déjà vu ou de réalité parallèle. Si la jeune femme tentait de faire bonne figure, son esprit n'en fut que plus troublé, jour après jour. Lorsque ces songes décidaient enfiin de la libérer, Léonie arrivait à reprendre un cours de vie normal, mais cette fois-ci elle n'avait plus eut de répit pendant plus de quinze jours. Aussi, ce jour-là elle décida d'écouter. Ecouter ces espèces de pressentiments qui pouvaient parfois l'atteindre, écouter la faille entre le monde réel et le surnaturel, la faille même depuis laquelle elle était née et la seule solution qu'elle trouva fût de se rendre au cimetière. Pour quoi ? Pour voir qui ? Léonie n'avait toujours eut que son père comme unique famille, et sa mère était morte en Bretagne et n'avait pas de tombe, car on ne réserve pas de tombe pour les sorcières.
Son père avait eut le courage de lui révéler pourquoi elle était elle-même pourvu de certains dons. Si il n'était pas pour l'idée qu'elle s'en accommode et s'en serve, le militaire n'avait pas pût faire grand chose contre la volonté de Léonie, tout comme actuellement Léonie ne pouvait pas faire grand chose contre sa mystérieuse sensation de devoir se rendre au cimetière, qu'importe si les tombes ne la concernaient pas.

Cette idée l'effrayait quelque peu, les cimetières n'étant pas vraiment les lieux des bonnes sorcières, Léonie craignait qu'un lieu pareil, chargé de morts, de douleurs et de non-dits puisse éveiller en elle des pulsions nuisibles.
Arrivée aux alentours du cimetière, la jeune femme aperçu d'abord la cathédrale, lieu saint qui la perturbait toujours autant. Jamais elle ne savait trancher : prier ou maudire, remercier ou défier ? L'Eglise l'avait sauvée, c'est ce que lui répétait son père, mais une partie d'elle ne pouvait s'empêchait de considérer ces lieux comme des ennemis car ils étaient les premiers à brûler ses consœurs.
Ôtant sa capuche, Léonie se rendit compte que le cimetière n'était pas désert, naturellement elle s'approcha du jeune homme, persuadée qu'il devait être un inconnu qu'elle devait sans doute voir, un inconnu à qui parler, peut-être même quelqu'un à qui elle pourrait conter ses rêves tandis qu'il l'aiderait à mieux y voir. Mais à trop se perdre dans ses pensées, elle ne pût anticiper le choc qu'ils vinrent tout deux à ressentir.

- Aoutch..

Relevant la tête, la jeune femme mit quelques secondes à réaliser qu'il s'agissait bel et bien d'Achilles, tellement son coeur désirait autre chose.

- Achilles ? Ce n'est rien, désolée, je ne faisais pas plus attention que toi à vrai dire..

Encore quelque peu perturbée, Léonie tenta de reprendre une certaine contenance avant d'esquisser un léger sourire.

- Comment tu vas..

Dit-elle simplement, presque timidement, sachant pertinemment que si Achilles était là c'était pour une tombe, une tombe qui lui était chère.

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Achilles & a silhouette in a cemetery

« Thinking about you »

De grands yeux clairs, immenses, comme des fenêtres ouvertes sur l’infini. Une bouche plutôt large, rouge tel le sang plaqué sur une peau pâle, cristalline. Achilles entendit l’exclamation de douleur de la demoiselle et se massa rapidement le menton. Lentement, ses lèvres s’étirèrent en un rictus. Cette situation, qui auprès d’un inconnu au bataillon aurait pu être hautement gênante, devenait ridicule et amusante avec Léonie. Son amie d’enfance, cette petite tête brune qu’il avait toujours connue, ce visage et cette moue qu’il avait pris l’habitude de croiser en ville. Ils s’étaient accoutumés à se voir, à jouer ensemble et puis, plus tard en grandissant, à discuter. Leurs parents venaient souvent à se retrouver, amis eux aussi, laissant les deux jeunes gens profiter de leur présence mutuelle. Achilles retint un éclat de rire en voyant le visage confus de la jeune femme. Elle avait dû encaisser plus douloureusement le choc, Ash étant plus grand et plus costaud.

Pour toute réponse à l’interrogation de la jeune femme, Achilles haussa les épaules. Comment lui décrire ce qu’il ressentait, lui expliquer le vide intersidéral qu’Hoona avait creusé en lui en disparaissant. Le manque qu’Iseult avait laissé derrière elle en fuyant, le désespoir que sa mère lui infligeait à chaque nouveau regard. Comment lui traduire tout cela sans paraître dépassé, complètement balafré par son quotidien ? Léonie était une amie, une personne qui se souciait un tant soit peu de son état et Ash ne désirait nullement l’accabler de sa peine futile et habituelle. Il se contenta d’un infime sourire, plus proche du rictus que du véritable sourire franc.

- On vit à Puyfaux, je suppose qu’on supporte tous les mêmes humeurs !

La lourde allusion aux sorcières qui planait derrière cette remarque était palpable. Si seulement ! Si seulement le pauvre Ash avait pu deviner que juste sous ses yeux, face à lui, armée de son sourire amical, se tenait l’une d’entre elles. Sa réaction aurait été imprévisible, à coups sûrs. Le blond ignorait la nature de son amie et c’était mieux comme cela. Le jour où ce secret serait brisé et que les marées de répercutions s’abattraient sur eux, Achilles le supporterait bien mal. La sorcellerie semblait s’acharner à lui prendre tout ce qui lui était cher, le détruisant peu à peu au fil des années. Ash endurait mais arriverait le moment où il cèderait, las.

- Et toi, comment te sens-tu ? Ton père se porte bien, j’espère ?

Après tout, Léonie rôdait près d’un cimetière ! Et à sa connaissance, Ash ne connaissait personne dans l’entourage de la demoiselle qui avait trépassé. Peut-être venait-elle simplement voir une amie ? Ils avaient tous, absolument tous, perdu quelqu’un dans cette ville démoniaque ! Pas un seul habitant de Puyfaux ne pouvait se vanter d’avoir été totalement épargné. Que ça soit un frère, une sœur, un père, un ami d’enfance, un voisin, un maître d’école ou même une servante. Ils avaient tous laissé des plumes dans ce combat acharné contre les monstres du dehors.

Le regard d’Achilles se posa sur la demoiselle. Sa silhouette menue, gracieuse, rappelait quelque peu celle de sa bien-aimée au garçon. Léonie avait quelques points de ressemblance avec Iseult, physiquement parlant. Toutes deux avaient la peau pâle, des iris clairs, une bouche bien dessinée et un corps fluet. Son amie d’enfance, cependant, avait bien plus l’allure d’une femme ! Quoi de plus normal ? Après tout, Ash n’avait plus vu Iseult depuis des années et son esprit assimilait encore l’image de cette quasi-adolescente de l’époque à ce prénom important à ses yeux. L’écart titanesque se situait toutefois au niveau du caractère. Elles étaient aux antipodes, l’une étant plutôt calme, douce, attentionnée bien que parfois rebelle et énervante. L’autre avait un caractère plus affirmé, forte d’une franchise déroutante et d’une certaine froideur. Achilles fronça légèrement les sourcils, frappé par une soudaine hésitation.

- Personne n’est mort ... dis moi ...

Le doute planait mais le visage de Léonie ne reflétait pas le deuil ou la douleur, à vrai dire, il ne laissait pas transparaître le ressenti de la belle. Mosaïque indéchiffrable tourmentant l’infortuné voyeur.